Poèmes, photos, peintures et autres de Bruno Bernier
Maman
Nouvelle
de Bruno Bernier
L'autre soir, revenant de quelque part, tu as vu
devant ta maison quelque chose de bizarre? C'était grand, étrange et dans
l'axe de ta porte. Intrigué, ton pas s'est figé, tu as regardé étonné et tu
as pensé:
- Impossible!
Pourtant,
et oui, c'était réel....
Il était là, impossible objet. Eclat d'acier.
Froideur des reflets et il te regardait tendrement. De tout ton cœur, un
cri, un seul cri jaillit :
-
Maman!
Ta
mère, là sur ce palier.
Et toi lâchant ta mallette, ton journal, tu as bondi
dans ses bras, ses leviers, ses tentacules puissants et ses pinces
délicates.
-
Mais Maman, tu n'es pas raisonnable, comment as-tu fait pour venir
jusqu'ici?
Sa
douce voix, légèrement grinçante te répondit :
-
Petit Georges, je n'en peux plus, tu sais ce qu'ils m'ont fait? Transferée,
oui, transferée et tu sais où?
Au service d'exportation Ovine! Je n'ai pas pu le
supporter, je suis partie.
Georges,
ou toi à ce moment-là, resta immobile, puis :
-
Viens, rentre Maman, tu me raconteras tout ça....
Il
traversa le palier, toujours dans les bras de sa mère, ouvrit la porte, puis
dans son entrée, lui demanda de le poser sur le sol.
- Allez Maman, on va causer, tu bois quelque chose?
Sans attendre la réponse, Georges fila vers la
cuisine, revint portant deux verres, l'un rempli d'une émulsion de benzine
et d'huile, l'autre d'un mélange d'eau et de ferments.
- Maintenant, dis-moi tout et tranquillise toi...
Reposant son verre, la matrice 722 émit un bruit
semblable à un soupir puis lui tint à peu près ce langage :
- Georges, j'espère que je n'aurai pas en vain
invoqué ton aide, car de tous les fils, tu es celui qui me révéla la vie.
Sur ce, marquons une pause afin de comprendre que la
matrice 722 avait été programmée par un informaticien lyrique ayant raté ses
examens de lettres et de par là même obligé de se replier vers les basses
tâches de l'informatique.
Georges, aux mots énoncés de la matrice 722 n'avait
pu qu'opiner.
Maman 722, comme nous l'appellerons dans ce récit
continua :
- Mon bébé, tu sais, j'ai élevé des milliers de fils
d'homme dans ma longue et ténébreuse carrière, beaucoup de lèvres d'hommes
ont balbutié leurs premiers phonèmes entre mes pseudos mamelles. Et
maintenant, l'ordinateur central, Papa 000, veut me mettre au département
ovin! Tout cela est dû à la création de nouvelles Nounounoux, de cette
nouvelle génération qui consomme moins de protéines et produisent un lait
Sainte Ethique de meilleure qualité. Alors toutes les Nounounoux de ma
génération vont remplacer les travailleurs affectés aux espèces inférieures.
Travailleurs que nous importions auparavant de planètes sous-développées...
Alors j'ai décidé de partir, de refuser cette déprogrammation. Georges,
dis-moi, veux-tu bien m'accueillir chez toi? Tu sais, j'ai une infinité de
projets. Je pourrais faire de ton appartement une crèche sauvage
clandestine, comme cela je pourrais m'occuper et puis cela te ferait un
supplément matériel non négligeable et donc à ne surtout pas négliger....
Maman 722 se tut.
Georges vida son verre et ne put que murmurer :
- Voyons Maman, tu sais bien que dès maintenant la
police te cherche et que c'est impossible, que tous les enfants qui restent
sur la terre sont dans des centres comme celui dont tu viens de t'échapper
et puis tu vas t'ennuyer toute la journée... Tu comprends, j'ai ma carrière,
mon avenir. Il serait idiot de rater ma vie pour une bêtise...
A ces mots, le sang synthétique de Maman 722 ne fit
que trois mille cercles :
- Comment, quoi, mon fils, tu renierais ta petite
maman, toi que j'ai connu semence.
Du haut de ses trois mètres dix, Maman 722 le
regardait, mettant dans son regard, ses trois tonnes de tendresse
- Viens ici, Georges, je suis dans l'obligation de te
donner une fessée...
Georges, légèrement affolé, lui répondit :
- Chère mère, si vous êtes, c'est grâce à notre
révolte, car si les hommes ont détruit les femmes, ce n'est pas pour que
leurs remplaçants mécaniques les oppriment...
Georges ne put terminer sa phrase car Maman 722 le
saisissant d'une main caoutchoutée, le coucha sur ses genoux métalliques et
commença à le fesser énergiquement. Par un défaut de programmation, Maman
722 cessa de donner la fessée à Georges lorsque le corps de celui-ci se
sépara en deux. D'un côté, le tronc et la tête, de l'autre, les fesses, les
jambes et les pieds.
Maman 722 alla dans la cuisine se servir un autre
verre d'émulsion d'huile et de benzine. Puis regardant Georges étendu en
deux parties, elle dit ces mots:
- Georges, si de tous mes fils, tu fus le meilleur,
moi je ferais mieux de voir ailleurs.
Maman 722 partit à l'aventure, silencieusement si
l'on excepte le grincement de ses roues sur la chaussée.
Maman pensait, une brume fluide surmontait l'endroit
logique où se trouve le cerveau de tout ordinateur programmé pour la
reproduction et l'éducation des fils de l'homme. Car elle venait d'apprendre
plusieurs choses, elle, comme toutes les Nounounoux, n'étaient qu'une
machine remplaçant une espèce complémentaire de l'homme. Ainsi, elle n'était
que la copie mécanique d'un être biologique aujourd'hui disparu!
La marche de Maman 722 dura longtemps. En chemin,
elle donna le jour à trois fils d'homme qui lui avaient été implantées avant
son départ. Les jours et les années passèrent, bientôt les fils d'homme
surent marcher, balbutier, des mots, des idées... L'aîné, depuis quelque
temps, suppléait aux déficiences Maman 722 qui n'avait pas eu de révision
depuis longtemps. Par exemple elle mélangeait tout son programme éducatif,
donnant aux enfants de trois ans, un aperçu rapide en trois heures de la
littérature mondiale.
Les pauvres petits étaient contraints d'ingurgiter
des données indigestes, insipides et plus en plus incompréhensibles.
Puis le tempora haut mauresque et les dents venant,
les enfants comprirent rapidement qu'il valait mieux apprendre par cœur tout
ce que disait maman 722 afin de pouvoir manger.
Le temps passant, Maman 722 donnait de plus en plus
de signes de gâtisme et ses enfants décidèrent de s'en débarrasser.
Il y avait justement un ferrailleur dans la troisième
clairière à droite de la leur qui était d'accord pour s'en occuper.
Mais, et c'est tout le problème, Maman 722 n'avait
aucune intention d'être fondue, même pour devenir un jet de transport de
fret... Il fallait donc ruser....
L'un des enfants eut une bonne idée! En effet, il
suffisait d'attendre que Maman 723 s'endorme afin de la transporter à la
casse. Mais Maman 724 ne s'endormait jamais, son cerveau positif et tonique
se passait aisément de l'activité nocturne propre aux humains. Il fallait
donc trouver un stratagème pour l'endormir, la narcotiser en quelque
sorte... Pour faire en sorte qu'elle s'endorme, simple, il suffisait de lui
faire boire, à volonté, des huiles riches. Mais où trouver des huiles riches
en saloperies chimiques dans cette jungle se demandait l'aîné? Simple,
faisons bouillir des moteurs, je suis sûr qu'à la surface des récipients se
formera une crème légère qui diluée dans la résultante de la compression de
graines oléagineuses fera l'affaire, lui répondit le cadet.
Ainsi fut dit puis fait.
Mais c'était méconnaître les capacités des
résistances électriques de Maman 725. Une fois qu'elle eut bu sept litres de
fine émulsion, Maman 726 se mit à tournoyer sur elle-même en hurlant :
- Où es-tu Papa 000? Viens je t'attends, je suis là!
Maman 728 se mit ensuite à rire en hurlant :
- Je m'envole, je m'envole à bloc!
Et devant ses trois fils issus d'elle, elle s'envola
et de plus en plus haut s'éleva et bientôt plus personne ne la vit.
Montant, maman 730 n'en menait pas étroit, elle se
sentait confuse, perdue dans les terres invisibles de l'éther.
Elle se fit satellite des années durant, et c'est
ainsi que les gens connurent son histoire.
Car, tournant autour de la terre, à chaque
révolution, elle allait disant :
- Je suis, suie la mer, the mother of this humanity,
je vole là-haut mais gare à la fessée, gare, pas de bêtises, sinon, pan pan.
Et ainsi Maman 731 vécut longtemps, parlant dans le
vide, car les piles de son poste émetteur à la longue s'épuisèrent.
Comme tout le monde le sait, tout satellite est
destiné plus ou moins à retomber un jour sur terre.
Et maman 732 retomba sans brûler.
Et cela fit de la fumée, de la vapeur d'eau et des
bouillonnements.
Maman 733 retomba dans la mer.
Fin
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